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dimanche 24 mars 2013

SALEVE - "Les Avenières". 1ère partie


Mary Shillito et Assan Dina
au château des Avenières

Image internet. Dans la Chapelle, détail du visage de la Papesse.
Le samedi 9 février, La Salévienne, société d’histoire régionale de Savoie, a organisé au château des Avenières une conférence donnée par Monsieur Christian Regat.

Nous traversons le village enneigé de St Blaise pour nous rendre au domaine des Avenières, 1'150m.
Nous sommes une cinquantaine de participants à avoir répondu à l’invitation. La conférence intitulée « l’étonnante histoire du château des Avenières et de ses occupants » est donnée au premier étage du château. Aujourd’hui, grâce à la famille Odin qui l'entretient et le fait vivre, le château est aménagé en hôtel 4 étoiles avec son restaurant gastronomique.

Le conférencier : Monsieur Christian Regat, érudit Savoyard, formé à l'histoire de l'Art et à la littérature italienne.
Pendant plus de 2 heures, Monsieur Regat tient ses auditeurs en haleine avec un exposé passionnant, illustré de magnifiques photos projetées sur écran. Inutile de dire qu’ici, seul un modeste résumé en est publié.

Aujourd'hui encore, Genève, avec son lac et ses montagnes proches, attire des touristes du monde entier.
Dès le début du XXe siècle, Genève est fréquentée par la haute société internationale. En été 1904, en séjour à Genève, Mary Wallace Shillito, riche américaine née en 1878 à Cincinnati, établie à Paris depuis son adolescence, apprend que le domaine des Avenières est à vendre.  

Lové dans un écrin de montagnes, le Lac d'Annecy en été.
Depuis Cruseilles, Mary, accompagnée de son amie de cœur et de quelques amis, emprunte chemins forestiers et sentiers jusqu'à la grande clairière en pente douce vouée à la culture de l'avoine. En face, un panorama somptueux s'offre aux regards des visiteurs : le lac d'Annecy, le massif des Bauges, les Aravis et au loin le Mont Blanc dominant les Alpes. Mary est séduite par la beauté des lieux situés sur le versant méridional du Salève.



Photo internet. De la terrasse du château, le parc descend jusqu'à la route.
Dernière survivante d’une fratrie de 4 enfants, son père, veuf, ne lui refuse rien. Mary n’a donc aucune peine à convaincre son père, puissant homme d'affaires américain, d’acheter ces terres. Leur notaire entreprend les démarches avec les vendeurs et les autorités de Cruseilles. Gordon Shillito signe la promesse de vente et donne les pleins pouvoirs à sa fille pour mener à bien l’achat du domaine. Lui-même devant se rendre aux Etats-Unis pour affaires. L'année suivante, au printemps 1906, Mademoiselle Shillito achète à Berthe Borgel le domaine des Avenières et le hameau de La Chenaz, soit un peu plus de 80 hectares, pour la somme de 100'000 francs de l’époque, payés comptant. A l'origine, ces terres appartenaient aux moines de la Chartreuse de Pomier. Lors de la révolution française la Chartreuse et ses nombreuses terres furent confisquées par l'Etat puis revendues à plusieurs reprises.

Photo Julien Champagne. Mary Shillito n'est pas très belle, elle est affligée de grandes dents jaunes et d'un triple menton agrémenté d'une verrue sur le côté droit.
En décembre de la même année, son père décède à Cincinnati. A 28 ans, Mary est sans famille. Elle est riche, immensément riche. Elle partage sa vie avec Marcelle Senard, fille du comte Jules Senard, riche viticulteur-négociant à Beaune, où il possède la Grande Maison d’Aloxe. Marcelle bénéficie  de la puissance financière de son père. Les deux femmes ont reçu une éducation exceptionnelle pour l’époque, elles peuvent échanger sur le monde des arts et des lettres, elles fréquentent les mêmes cercles d'amis. De plus, elles partagent la même passion pour l’ésotérisme. 

Image internet. Un char achemine le matériel nécessaire à la construction du château.
Pour donner du sens à sa vie, Mary va se consacrer à son nouveau domaine. La construction du château débute en 1907. Les matériaux les plus nobles sont choisis, notamment les pierres de Comblanchien en Bourgogne, où la famille de son amie Senard possède vignes et château. Contrairement aux pierres grises du Salève, celles de Comblanchien sont beiges, ce qui donne un cachet particulier à ce bâtiment. Tout est acheminé par train jusqu'à la gare de Saint Julien, puis transportés sur des chars, quant les bœufs sont libérés des travaux de la ferme, par les paysans du Châble, du Mont- Sion et de Saint-Blaise. Cet immense chantier assure de nouveaux emplois aux habitants de la région.

Un château extraordinaire. A gauche, la chapelle.
Quand Mary n'est pas sur place pour superviser les travaux, elle court le monde avec son amie. Mademoiselle Senard, qui milite pour l'homosexualité, prend une part importante dans l'aménagement du château. Marcelle choisit et Mary paie tapisseries anciennes, boiseries en chêne, tapis d'orient, tapis persans, statues en pierre des XVe et XVIe siècles, miroirs, pendules, rideaux et tentures au point de Venise, luminaires, tableaux et meubles précieux.

On entre dans un élégant petit vestibule. Au sol, le dallage au blason des Shillito. Au dessus de la cheminée une vierge à l'enfant. Un escalier monumental donne accès aux étages.
Les pièces du rez-de-chaussée sont immenses. Le papier peint mural du Grand salon cramoisi porte le blason des Shillito : le cygne blanc au fer à cheval. Blason omniprésent dans la maison, même sur les dallages avec le "M". Les trente-cinq pièces accueillent de grandes et fastueuses réceptions. Mary reçoit ses amies féministes, des savants, des artistes, des philosophes.

Le château s'élève sur 3 niveaux. Au Sud, la façade principale, entourée de deux tours. Au rez, les salons donnent sur la terrasse. Un balcon parcourt tout le premier étage. Au 2ème, un balcon se prolonge en loggias sur les 2 avancées.
Lors d’une conférence sur l’ésotérisme, Mary fait la connaissance d’Assan Dina. Petit-fils du maharadja de Lahore, fils d'ingénieur, Assan naît en 1871 à l'île Maurice, alors colonie britannique. Sa mère, française, décède lorsqu'il a trois ans. Ingénieur en hydroélectricité, il parcourt le monde, les colonies d'Afriques, la Chine. De retour en Europe, il s'installe à Paris. Passionné d'astronomie, de religions orientales, Assan Dina est également féru d’ésotérisme, d'astrologie, d’alchimie et du déchiffrage de l'écriture des tablettes assyriennes.

Photo Julien Champagne. Citoyen britannique d'origine hindoue, Assan Farid Dina est petit, corpulent, le teint jaune, la moustache noire et l'oeil plus noir encore.
Peu après leur première rencontre, Assan Dina est invité aux Avenières. Une grande complicité se noue entre la châtelaine et le brillant ingénieur. Assan n’a pas d’amie connue, il vit à Paris avec sa sœur, passionnée elle aussi d'ésotérisme. En revanche, il est très proche d'un ami de longue date Lucien Boccard. Mary rêve d’une relation mystique avec cet homme. Elle pourrait mettre sa fortune à disposition des projets d’Assan. De plus, les activités industrielles d'Assan Dina laissent présager la venue d’une fortune considérable. 
De jolis colombages prolongent les loggias
Assan croît, lui aussi, à une union mystique avec Mary. Le mariage sacraliserait leur amitié philosophique et apporterait une respectabilité conforme aux normes de la société. En janvier 1914, Mary et Assan se marient discrètement à Paris.

Photo internet. Marcelle Senard 1879 - 1971
De retour au château, Mary accueille toujours ses anciennes amies, mais elle donne une place grandissante à son mari. Marcelle Senard, l'amie de cœur, se retire des Avenières. Cette même année, Marcelle publie deux ouvrages sur la philosophie, voyage à travers le monde et s'installe en Suisse. En 1948, elle publie une étude sur le zodiaque, ouvrage réédité en 2004. Elle meurt en 1971, à Lausanne, à l'âge de 92 ans. 

Image internet. Cet ouvrage permet au lecteur de mieux comprendre la pensée d'Assan Dina à travers ses thématiques existentielles, scientifiques et métaphysique.
Dès leur retour aux Avenières, Assan Dina, qui s'impose par son intelligence et ses larges connaissances de l'hermétisme, transforme la prairie en jardin initiatique : larges marches d'escaliers en lien avec la symbolique des nombres, grotte avec une source qui jaillit dans un bassin en forme de vulve. Certaines religions comme l'hindouisme vénèrent les représentations de cet organe féminin qui symbolise la Déesse-mère, la Terre-mère. De plus, Assan, citoyen britannique, a des ascendants Hindous et il se passionne pour les religions orientales. Dans le parc, d'imposantes statues veillent sur le domaine. La plus connue représente un sphinx  symbole du mystère et de l'avenir dans la mythologie égyptienne.  

 Image internet. Le chariot de feu. Dans la chapelle, au bas de chaque Arcane un nombre et une lettre de l'alphabet hébraïque.
Dans la chapelle, la quête métaphysique d'Assan Dina s'exprime dans le décor de mosaïques bleues et dorées représentant des symboles alchimiques et planétaires. Le parcours initiatique se fait en se déplaçant d'une lame à l'autre des 22 arcanes du Tarot. Sans doute que l'ensemble est une énigme, un message dont seul Dina détenait la solution. Ses réflexions philosophiques sont développées dans ces ouvrages.

Image internet. Cet ouvrage compte 643 pages, il a été réédité en 2012 aux Éditions Slatkine.
1917 voit la fin des travaux avec en point final la mise en place d'un orgue au premier étage. Assan Dina est aussi musicien, organiste. L'année suivante, l'instrument sera équipé d'une soufflerie électrique et inauguré par le titulaire des grandes orgues de Notre-Dame de Paris. En effet, dès 1917, Dina complète la construction du château par la réalisation d'une centrale électrique et la captation d'une source, dont les châtelains font également profiter les habitants de Cruseilles et des campagnes environnantes. L'arrivée de l'électricité au château est le prétexte d'une grande fête nocturne.

Les Dina sont généreux avec les habitants de la région, Mary s'informe auprès de la Mairie de leurs besoins. En particulier les enfants des familles les plus démunies ne sont pas oubliés. Pendant la guerre de 1914-1918, ils envoient des colis aux soldats envoyés au front. 

Le troupeau des Dina est constitué de vaches Montbéliardes.


Le couple s'entend pour mettre en valeur le domaine : habitations pour le personnel, construction d'une ferme modèle, élevages de bovins. Pour accéder au château, ils font l'acquisition de plusieurs voitures à chenilles. Plus tard, Assan aura ses avions privés. Il a l'idée de construire un aéroport de proximité, sa mort stoppe ce projet. Initiateur et constructeur de la route de montagne Cruseilles- l'Abergement-La Croisette, le châtelain décèdera avant l'achèvement des travaux.
 
Croquis internet. Citroën K1, entraînée par une chenille en caoutchouc entourée autour de 2 poulies, après ce premier véhicule d'autres viendront élargir le parc automobile des Dina.
En parallèle à la gestion du domaine, Assan Dina construit dans plusieurs départements des centrales électriques. Inventeur génial, ses usines utilisent la houille blanche, l'eau prenant l'avantage sur le charbon. En 1923, il créée une fondation scientifique pour le développement de l'astronomie, la météorologie, la T.S.F. et la géographie. La création d'un observatoire au Salève ne verra pas le jour, par contre il crée l'observatoire de Haute-Provence. Il fait un don très important à l'Académie des sciences pour financer des recherches et lui offre également, pour l'étude de la physique, une sphère en verre dont il est le concepteur.

Image Internet. Construction du canal de Suez, inauguré en 1869.
Après dix ans d'une union mystique, le couple Dina vacille. Assan vit dans son château de Bar-sur-Seine avec sa maîtresse. Mary déprimée est hospitalisée. La santé d'Assan chancelle. Dès lors, il n'a plus qu'une idée en tête, se rendre à Ceylan sur la tombe de sa mère. Peut-être pour tenter de sauver leur couple, Mary et Assan décident de faire ce long voyage ensemble. Au retour, leur navire emprunte le canal de Suez. Assan, âgé de 57 ans est pris de malaise et meurt à bord dans la nuit du 24 juin 1928. Mary le fait enterrer à Suez. 

Image internet. Les premières traversées du canal se faisaient à bord de goélettes.
Mary rentre à Parisdifférents bruits courts sur les circonstances de la mort de son mari. Histoires d'argent, histoires de succession. A sa mort, Assan possédait un immense patrimoine personnel : usines, propriétés, argent, château, terres. La succession est portée devant les tribunaux de Chambéry qui reconnaît Mary comme héritière. Néanmoins, elle est tenue de verser une part à l'ami Lucien Boccard. A Paris, Mary fréquente cercles et librairies occultes. Elle y rencontre René Guénon, un passionné des sciences de la nature et auteur d'articles sur les philosophies orientales. Mary finance certains de ces projets. Au printemps 1930, ils embarquent pour Suez. Mary fait construire un mausolée sur la tombe de feu son mari. Trois mois plus tard, Madame Dina rentre seule en Europe, René Guénon s'installe au Caire où il mourra en 1951.

Photo internet. Inauguration de la route du Salève. Mary coupe le ruban, à sa droite Ernest Britt, son second mari.
De retour à Paris, Mary fait la connaissance d'un pianiste suisse, un veuf de 70 ans. Ernest Britt a développé une théorie sur  l'ésotérisme musical. Mary rêve à nouveau d'une union mystique. Ils se marient à Paris puis s'installent aux Avenières. L'année suivante, ils inaugurent la route du Salève.

Photo internet. New-York après le krach. Il faudra attendre 25 ans pour que la bourse retrouve ses indices d'avant la crise.
La chute de la bourse en 1929 marque le début de la plus grande crise économique du 20e siècle. La fortune de Mary fond dangereusement. De plus, son mari dilapide l'argent. Elle décide de divorcer. Ses finances ne lui permettent plus d'entretenir le château des Avenières. Elle le vend, en 1936, à un notaire de Chambéry.

Photo internet.  L'île de Salagnon aujourd’hui.


Avec l'argent des Avenières, Mary achète une île sur le Léman, face à Montreux. Sur l'île, dotée d'un petit port privé, se dresse une villa de style florentin. Les travaux de rénovation commandés par Mary vont durer jusqu'en 1938. Arrivant de Paris pour son installation à Salagnon, son avion se pose à Cointrin le 21 septembre 1938. En débarquant, Mary fait une crise cardiaque. Elle décède le lendemain dans une clinique genevoise à l'âge de 60 ans. Sa cousine fera rapatrier son corps à Cincinnati où Mary est enterrée dans le tombeau de la famille Shillito.

          Photo internet. Le blason de la famille Wallace Shillito : le cygne blanc au fer à cheval
Ainsi se termine l'histoire de deux êtres exceptionnels et de la création du château des Avenières.

Avec mes remerciements à : Monsieur Christian Regat, conférencier, Président d'honneur de L’Académie "La Salésienne" Annecy, qui nous a fait découvrir « l’étonnante histoire du château des Avenières et de ses occupants » .



2 commentaires:

  1. La photo présentée comme celle de Dina est celle de Julien Champagne.

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  2. La photo présentée comme celle de Dina est celle de Julien Champagne.

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